Shine to Lead a eu le plaisir de réunir une nouvelle fois ce vendredi 12 juin 2020 des panélistes de haut niveau, toutes engagées au quotidien autour de la question du développement et de l’automisation des jeunes filles.

Durant une heure, Fatima Diop Mbaye, Coach certifié, Fondatrice de Ubuntu Executive Coaching, Aida Ndiaye, Facebook Public Policy Manager, Rokhaya Ngom, UNV Specialist – Youth Advocate C4D chez UNICEF ainsi que Ndeye NDIONGUE, jeune Lauréate de Shine To Lead se sont notamment interrogées sur les voies et moyens à activer pour booster la confiance et l’estime de soi chez les jeunes filles, dans cette
période de déscolarisation pendant laquelle elles sont sujettes à de nombreuses contraintes dont celles liées aux corvées ménagères.

La date initiale de réouverture du 4 mai avait d’abord été repoussée au 2 juin avant d’être reportée sine die à la veille de la reprise prévue. Cette réouverture ne concerne de surcroît que les élèves en classes d’examens (CM2, Troisième et Terminale), soit 551.000 sur 3,5 millions d’élèves du public et du privé réunis. L’école sénégalaise devait déjà faire face à de nombreux défis avant la pandémie. Alors que le taux de scolarisation au primaire est de 86,4%, il baisse au collège et au lycée avec 49,5% et 33,8% respectivement, puis seulement 12,76% à l’université en 2018. Le baccalauréat, sésame d’entrée à l’université, n’a été réussi que par 37,65% des candidats en 2019 et 35,9% en 2018.    

La moitié de la population reste analphabète et seule une femme sur quatre est alphabétisée en milieu rural. Les taux de redoublement des filles restent inquiétants, en particulier dans les régions de Kolda, Kédougou, Ziguinchor, Fatick, Sédhiou et Matam où les taux de redoublement au secondaire dépassent 25%. Les filles sont en outre moins représentées dans les filières scientifiques. Les priorités en ces temps de pandémie doivent être d’assurer la qualité de l’éducation malgré la fermeture des écoles et l’accès de tous aux moyens déployés pour assurer la continuité pédagogique. Nous devons également dès à présent réfléchir au retour de tous à l’école après la pandémie, en particulier des plus marginalisés, ainsi qu’à l’école sénégalaise de demain. Pour elle, aussi, il y aura un avant et un après COVID-19.    

La crise du COVID-19 exacerbe les défis de l’école sénégalaise   Assurer la continuité pédagogique est le premier des défis. Mais les efforts des autorités se heurtent à la réalité des insuffisances et inégalités préexistantes du système éducatif sénégalais. Le ministère a mis en place le dispositif « Apprendre à la maison » et prévu la distribution de clés USB et de CD-ROM pour aider les élèves à suivre les cours en ligne. Des initiatives privées comme la plateforme « Ecoles au Sénégal », Télé Ecole et des émissions télévisées comme « Salle des profs » essaient également de jouer leur partition. Ces efforts, quoique louables, ne permettent pas à toutes les populations d’accéder aux contenus pédagogiques. 

Dans un pays où seuls 46% de la population utilisent internet en 2017 et où les prix des forfaits internet sont élevés pour de nombreuses familles à revenus moyens et faibles, la mise en place de plateformes d’enseignement numérique ne suffit pas. Moins de 20% des élèves et étudiants ont les moyens d’accéder aux ressources en ligne selon l’UNESCO. Les autorités affichent une volonté ferme de sauver l’année scolaire et universitaire. Mais le risque d’invalidation menace de nombreux élèves. La reprise des cours pour les classes d’examen est prévue en ce mois de juin, mais quid des autres classes ? La saison des pluies commence en juillet voire en juin dans certaines zones du pays alors que certaines écoles n’ont pour classes que des abris provisoires. Sur cinq salles de classe, les trois sont des abris provisoires construits en « crintin » et ne permettent donc pas le retour des élèves en plein hivernage. Il est essentiel d’apporter des réponses rapides et des solutions aux élèves et aux parents pour atténuer autant que possible le risque de déscolarisation.   Accompagner les jeunes filles des milieux défavorisés pour éviter leur déscolarisation en masse.

Toutes les populations ne sont pas pareillement exposées au risque de déscolarisation. Les jeunes filles sont particulièrement vulnérables face aux crises, en particulier lorsqu’elles viennent de milieux défavorisés. Des catastrophes naturelles comme le cyclone tropical Idai au Mozambique et le séisme de 2018 en Indonésie ont provoqué des hausses substantielles du nombre de filles déscolarisées. En Afrique de l’ouest, des crises précédentes comme l’épidémie d’Ebola ont montré que l’éducation des filles est l’un des premiers investissements à être abandonné lorsque les ressources économiques ou la nourriture viennent à manquer.  Selon Plan International, en temps de crise, les filles ont 2,5 fois plus de risques d’être déscolarisées que les garçons.   Les filles marginalisées ont aussi moins accès à la technologie et à l’internet. 

Lorsqu’elles restent à la maison, elles voient leur temps très souvent accaparé par les corvées ménagères. Il est impossible dans ces conditions de suivre les cours à distance au même niveau que les garçons. La violence envers les femmes et les filles est un autre fléau de la pandémie de COVID 19 et un obstacle à la scolarité des filles. Une augmentation du nombre des grossesses et des mariages précoces et forcés est à craindre. Au lendemain de la crise Ebola en 2014, les grossesses d’adolescentes ont augmenté jusqu’à 65 % dans certaines communautés en Sierra Leone. Un récent rapport du Malala Fund a montré que plus de 10 millions de jeunes filles en âge d’être à l’école secondaire pourraient être déscolarisées après la crise de COVID-19 dans le monde. Plus que jamais, il faut accompagner les jeunes filles pour atténuer l’impact du COVID-19 sur leur scolarité et s’assurer qu’elles puissent reprendre le chemin de l’école après la crise.   Pour une école sénégalaise moderne, juste et inclusive à la sortie de la crise du COVID-19   Les défis que pose la crise actuelle à l’école sénégalaise ne sont pas nouveaux. 

La pandémie du COVID-19 ne fait qu’exacerber leur gravité. Cette crise est une occasion de remettre en question notre système scolaire et de le rendre plus juste, inclusif et performant. Nous devons nous attaquer aux causes profondes de la déscolarisation. Le principal frein au retour des élèves dans les classes est le manque de moyens économiques. L’exemption de frais de scolarité est un moyen rapide et efficace d’encourager les communautés les plus fragiles à réinscrire leurs enfants à l’école. 

La Sierra Léone avait par exemple supprimé les frais d’inscription pour deux années scolaires après l’épidémie d’Ebola. Les mesures économiques ne peuvent cependant être efficaces qu’accompagnées d’un effort conséquent de communication et de sensibilisation. Nous devons donc travailler avec les communautés et les organisations de la société civile pour rappeler l’importance du retour des filles à l’école et lutter contre les préjugés qui voudraient que leur éducation soit moins cruciale que celle des garçons.   Si le COVID-19 nous a appris une chose, c’est que la société civile et les initiatives citoyennes ont un énorme potentiel d’impact. 

Notre initiative SHINE TO LEAD / Jiggen Jang Tekki travaille pour l’amélioration des conditions d’études des jeunes filles dans les milieux défavorisés, le développement du leadership féminin… Des masques, du gel hydroalcoolique ainsi que des kits alimentaires ont été distribués aux familles défavorisées dès le début de la pandémie. Une série de Talks réunissant des experts porte le plaidoyer pour la cause. Nous avons aussi très tôt compris la nécessité d’initier les jeunes filles au numérique. C’est ainsi qu’elles ont suivi des séances d’initiation au codage et ont toutes été équipées de smartphones et dotées de pass internet ainsi que d’un catalogue pour accéder à du contenu pédagogique en ligne. De telles initiatives peuvent atténuer la vulnérabilité des familles face à la pandémie et ses conséquences socio-économiques, et permettre aux jeunes filles de pleinement bénéficier des initiatives numériques pour la continuité pédagogique.   

S’il est vrai que la pandémie du COVID-19 nous montre tout le potentiel des outils numériques pour l’éducation, elle révèle également les profondes inégalités d’accès aux technologies et à internet. Le déploiement des outils numériques ne sera pleinement effectif que s’il est accompagné d’un réel développement des infrastructures pour une meilleure couverture internet. L’éducation à distance nécessite en outre plus d’assistance pour les enseignants et parents très souvent atteints d’illectronisme et une communication prenant en compte les réalités socio-culturelles, dont certaines, comme la surcharge de tâches domestiques, limitent l’accès des filles à l’éducation. La mise en place d’une plateforme dédiée à l’assistance et la formation à l’enseignement en ligne pourrait considérablement améliorer la qualité de l’encadrement des élèves.   

La pandémie du COVID-19 ne laissera aucun pays indemne. Il nous faudra fournir un effort de reconstruction et de réinvention de nos institutions fragilisées et de nos modes de fonctionnement remis en cause. Les crises sont des défis pour les sociétés, mais également des moments féconds d’où peuvent jaillir des idées et des transformations de fonds qui auraient pris plus de temps à se réaliser sans le choc. Nous sommes donc face à une occasion historique d’améliorer notre système éducatif et de mettre fin aux injustices socio-économiques et culturelles qui continuent de maintenir les jeunes filles hors des chemins de l’école et de la réussite. Ce n’est qu’avec une école inclusive et performante que nous pouvons espérer une jeunesse bien formée et capable de porter le développement du Sénégal. Nous invitons toutes les forces vives de la nation à rejoindre l’effort afin que l’école sénégalaise sorte de cette pandémie meilleure et grandie.